Les bons plans du Géomètre-Expert
La Cour de Cassation aura mis 76 ans pour être saisie d’une question ô combien importante. Importante pour les Géomètres-Experts, importante pour les autres professionnels de l’immobilier que sont les notaires, promoteurs, syndics, etc. , et importante, au premier chef, pour tout copropriétaire.
Le 1° de l’article 1er de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l’Ordre des Géomètres-Experts dispose que le géomètre-expert « Réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d’échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière ; »
La question posée à la Cour de Cassation est celle de l’étendue des termes « biens fonciers » et « propriété foncière ». La réponse à cette question en apparence anodine, permet de déterminer si les plans de copropriété entrent dans le monopole des géomètres-experts.
Dans l’affirmative, quel sort faudra-t-il réserver aux copropriétés dont les plans n’auraient pas été dressés par un géomètre-expert ? En d’autres termes, faut-il remettre en cause l’existence même des copropriétés dont les plans ne sont pas l’œuvre d’un géomètre-expert ?
Sans reprendre la procédure de cette affaire au tout début (voir « Pour aller plus loin » en fin d’article), arrêtons-nous un instant sur l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry, soumis à la censure de la Cour de Cassation.
La juridiction savoyarde avait retenu que le projet initial prévoyait la création de deux parcelles totalement indépendantes et autonomes, que la configuration des lieux avait rendu cette solution impossible à mettre en œuvre et que le promoteur et l’architecte avaient eu recours au régime de la copropriété pour « sauver » l’opération.
Il résultait de ce processus que le plan de copropriété était le fond de plan du permis de construire dressé par l’architecte, sur lequel ce dernier a matérialisé deux zones de couleur correspondant aux deux lots.
Selon les juges du fonds, il importe peu que ce plan ait été réalisé par un géomètre-expert dès lors que ce plan est suffisamment clair et précis et permet « de délimiter avec suffisamment de précision les parties privatives des parties communes sans contradiction avec le règlement de copropriété et l’état descriptif de division ».
La lecture de la Cour de Cassation est toute autre. Elle affirme expressément qu’il résulte des articles 1, 1°, et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 instituant l’ordre des géomètres-experts, dans leur rédaction issue de la loi n° 87-998 du 15 décembre 1987 visant à garantir le libre exercice de la profession de géomètre-expert, que « seuls les géomètres-experts inscrits à leur ordre peuvent réaliser les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers. À ce titre, ils lèvent et dressent, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d’échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière. »
Selon la Haute-Cour, le plan annexé aux actes de copropriété délimite les droits fonciers des copropriétaires et ne peut, en conséquence, être dressé que par un géomètre-expert.
Certains pourront dire que cette décision est un non évènement et, à dire vrai, je partage cette vision.
Depuis dix ans, ce principe était déjà connu et identifié.
Exposé par le Commissaire du Gouvernement Daniel LABETOULLE(1) lors du 41ème congrès des géomètres-experts en septembre 2012, le « PRINCIPE DE LA ROCHELLE » fait ressortir que les plans annexés à l’état descriptif de division lors de la mise en copropriété d’un immeuble relèvent du domaine de compétence réservé du géomètre-expert dans le cadre de sa délégation de service public.
On pourrait presque s’étonner qu’une cour d’appel soit allée à l’encontre de ce principe et qu’il fut nécessaire que la Cour de Cassation soit saisie de cette question.
Pour autant, la réponse, ou plutôt, ce rappel, ne règle pas tout et cet arrêt n’est peut-être que le premier d’une série à venir.
En premier lieu, les juristes auront remarqué que cette décision a été rendue par la première chambre de la Cour de Cassation alors que les affaires touchant à la propriété immobilière et à la copropriété sont de la compétence de la troisième chambre.
En second lieu, si la cour affirme que seuls les géomètres experts sont habilités de par la loi, à dresser des plans de copropriété, il n’est pas de son rôle d’en tirer les conséquences.
En effet, la haute cour n’est pas juge du fond, mais juge du droit.
A ce titre, elle édicte un principe par interprétation ou en rappelle un, mais ne se positionne pas sur ses conséquences et renvoie l’affaire devant une nouvelle cour d’appel, en l’occurrence, celle de Lyon pour tirer les conséquences de ce principe.
Sans attendre l’arrêt à venir de la Cour d’Appel de Lyon, nous pouvons citer dès à présent les différentes possibilités qui s’offrent à elle :
- Considérer que la copropriété n’existe pas, à défaut d’état descriptif de division valable. S’en suivrait un régime d’indivision forcée entre les différents propriétaires de lots.
- Ou, au contraire, considérer que la copropriété existe, mais que les limites de chaque lot sont inconnues, puisque les plans non dressés par un GE ne sont pas valables.
Par ailleurs, contrairement à ce que l’on peut entendre de ci et de là, le principe rappelé par la Cour de Cassation n’est pas une évolution du droit. Il ne s’agit pas d’une nouvelle règle applicable à partir de cet arrêt.
Il s’agit en réalité du rappel d’une règle contenue à l’article 1er de la loi de 1946.
Bien que modifié en 1987, cet article posait dès 1946 le principe selon lequel les géomètres-experts ont seuls qualité pour fixer les limites des biens fonciers.
Nul doute donc que la position de la Cour de Cassation aurait été la même s’agissant de plans dressés à l’occasion d’une mise en copropriété antérieure à 1987 établis sous l’égide de l’ancienne rédaction des attributions des Géomètres-Experts.
Ce ne sont donc pas que les copropriétés postérieures à l’arrêt de juin 2022, ni celles postérieures à la loi de 1987, mais bien TOUTES LES COPROPRIÉTÉS CRÉÉES DEPUIS 1946 QUI SONT CONCERNÉES PAR CETTE DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION.
(1)M. Daniel LABETOULLE, Commissaire du Gouvernement et ancien président de la section contentieux du Conseil d’Etat.
Pour aller plus loin : ci-dessous le détail du processus retenu par la Cour d’Appel de Chambéry et qui avait conduit à remplacer une division primaire par l’établissement d’un état descriptif de division pour une mise en copropriété.
« A l’origine, les parcelles constituant le terrain d’assiette de la copropriété, appartenaient à Mme R E.
(…)
Dans un premier projet, l’architecte a délimité deux parcelles indépendantes, chacune recevant un chalet et chacune bénéficiant d’un accès direct à la voie publique.
Ce premier projet a été refusé par l’autorité administrative pour des raisons de distances par rapport aux limites.
Pour satisfaire à ces contraintes, l’architecte a dû modifier l’implantation des constructions avec notamment pour conséquence le remplacement des deux accès indépendants à la voie publique, par un unique accès commun aux deux parcelles.
La parcelle n°1 qui n’ayant plus d’accès direct à la voie publique, est desservie par un passage traversant la parcelle n° 2, seule contigüe à la voie publique.
C’est sur la base de ce plan daté du 22 juin 2004, que le permis de construire «valant division en propriété ou en jouissance», a été obtenu par arrêté du maire de la commune en date du 3 janvier 2005.
(…)
Le 15 mai 2007, M. F géomètre expert à Thonon les Bains, a dressé un plan d’implantation des chalets et de division du tènement, sur la base du plan du permis de construire, sans faire apparaître les voies d’accès.
Finalement, pour diverses raisons, la SCI l’Abbaye a décidé de placer l’ensemble immobilier sous le régime de la copropriété.
A cet effet, Me Q notaire, a reçu le 17 août 2017, le règlement de copropriété et l’état descriptif de division de la copropriété dénommée « l’ensemble immobilier les Chalets de l’Abbaye».
Aux termes de ces actes, la copropriété comporte deux lots, correspondant à deux superficies matérialisées en vert et en jaune sur un plan annexé aux actes, chacun des deux lots comprenant un chalet et un jardin privatif, l’accès commun constituant une partie commune.
Ce plan correspond au fond de plan du permis de construire, sur lequel ont été matérialisées deux zones de couleur correspondant aux deux lots privatifs et à usage privatif. »